DÉCRYPTAGE - Pour certains, passer des heures dans une épicerie est tout aussi important que de visiter un musée ou un quartier. C’est même devenu une tendance sur TikTok, le «grocery store tourism»...
Lors d’un séjour àNew York, pourquoi visiter le MoMA lorsqu’on peut… acheter des muffins au Trader Joe’s du coin? Voici en résumé le concept de «Grocery Store Tourism», comprenez «tourisme d’épicerie» en français. Ce concept, tendance sur les réseaux sociaux, séduit de nombreux voyageurs à travers le monde, curieux de découvrir un pays ou une ville via ses spécialités locales et ses courses du quotidien.
Ce n’est pas nouveau: les aliments vendus dans ces enseignes incarnent souvent le mode de vie des habitants. Si certains pays possèdent une vingtaine de variétés de riz, d’autres arborent plus de chocolat, comme enSuisse, ou de poisson, comme auJapon. Mais pourquoi tant de fascination récemment pour ces commerces typiques?
«C’est un passage obligé»
Après un séjour à l’étranger, Patricia ne rentre jamais enFrancesans ses traditionnelles courses dans un supermarché. «À chaque fois que je voyage, je veux passer des heures dans ces magasins pour découvrir les produits alimentaires ou même cosmétiques de la destination», s’enthousiasme l’assistante de direction de 58 ans, originaire deParis.
Elle l’assume pleinement: «C’est un passage obligé. Si je manque de temps, je préfère aller dans l’une de ces enseignes plutôt que de visiter un musée». Ce qui l’attire? «Les emballages sont différents, les couleurs et les langues aussi. J’adore tout analyser en essayant de deviner le contenu», ajoute-t-elle.
Sillonner les rayons à la recherche desouvenirslocaux lui semble plus intéressant dans ces épiceries que dans des boutiques classiques. «C’est souvent moins cher et, comme c’est de la nourriture emballée, ça se conserve plus longtemps», justifie Patricia. Parmi ses trouvailles les plus précieuses, une sauce au goût fumé, dénichée enFloride,ou encore un assortiment de piment en poudre pour paëlla, trouvé enEspagne.
Même ressenti pour Oriane, 31 ans, qui a développé cette habitude au fil de ses voyages. «Ce n’était pas un réflexe au départ, mais j’ai vite compris que ces lieux du quotidien étaient une vraie fenêtre sur la culture locale. On y découvre des produits introuvables ailleurs, des packagings surprenants et des habitudes alimentaires fascinantes. C’est une sorte de musée vivant et accessible», relève la chargée de web marketing, de retour enBourgogne Franche-Comtéaprès un tour du monde de sept mois. Elle compare aujourd’hui cette exploration à une chasse au trésor. «J’ai déjà testé des sodas aux goûts improbables en Thaïlande ou du lait vendu dans du plastique souple en Colombie», révèle Oriane.
Un véritable phénomène sur les réseaux sociaux
@maiia.maury ITS ENOUGH YOGURTSI love our yogurts but living in Texas made me realize we like them A LOT #france #frenchsupermarket #groceries #frenchyogurt #yogurt #frenchpeople
original sound - A Baguette in Texas
De nombreux internautes ou influenceurs voyageurs partagent cette passion des magasins internationaux sur le réseau socialTikTok. Une vidéo montrant une touriste impressionnée par le large choix de yaourts en France a atteint plus de 25.000 vues. «Laissez-moi me perdre dans Carrefour», peut-on lire en anglais en commentaire. D’autres préfèrent réaliser des dégustations des spécialités du monde entier devant la caméra. C’est l’un des concepts favoris de Marie et Quentin, 24 et 25 ans, créateurs de contenu voyage originaires de Paris.
Suivis par plus de 50.000 abonnés surInstagram, ils se sont filmés en train de goûter des barres chocolatées et d’autres friandises achetées àBudapest. «Chaque pays a ses propres marques et sa nourriture phare. Pour nous, les supermarchés sont des vraies étapes lorsqu’on visite un endroit, car ça en dit long sur cette partie du monde. Par exemple, en Espagne, on trouve davantage de viande de porc, tandis qu’en Italie, le rayon des pâtes et des huiles est bien plus fourni qu’en France», affirment-ils au Figaro. LaHongriereste leur plus grande surprise gustative, où de nombreux aliments contiennent du paprika. «Nous avons aussi adoré le marcipán, une sorte de pâte d’amande hongroise», raconte Marie.
Une immersion totale… ou presque
Selon Laurence Taubière, sociologue de l’alimentation, ce succès s’explique par la sensation d’immersion dans le quotidien. «En étudiant le comportement des Français au Vietnam lors de mes recherches il y a quelques années, j’ai découvert que beaucoup adoraient aller sur les marchés alimentaires. C’est une activité classique en voyage», décrypte-t-elle au Figaro. La nouveauté réside aujourd’hui dans l’intérêt des lieux de consommation de masse. «Leur mise en avant sur les réseaux sociaux accroît aussi la visibilité de certaines destinations», note la sociologue.
@caroluzitus Traveling with people who view grocery stores abroad as a cultural experience > #travel #grocery #abroad #france #vanlife #fy
Another Day in Paradise - aino!
Elle souligne également l’importance de ces achats après le retour, en tant quesouvenirs originauxà rapporter chez soi. Qui ne voudrait pas se vanter de connaître des spécialités locales venues de l’autre bout du monde? «C’est une expérience immersive, car elle reflète le système alimentaire du pays, la part d’importation ou de production locale, le patrimoine culinaire et même la diversité de la population», analyse Laurence Taubière. Mais elle nuance tout de même: «cela reste limité, car il ne s’agit pas non plus de dîner chez des habitants, et ce qui nous semble abordable peut être coûteux pour eux». Alors, plutôt sucré ou salé?
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